Tribune

Le projet de « la maison de la mer » à Saint-Leu : un déni environnemental et culturel

Les restes inadaptés d’un projet pharaonique pour un abri côtier

Le projet de “la maison de la mer” à Saint-Leu, porté par le TCO (Territoire de la Côte Ouest) est au cœur d’une lutte menée par les usagers du port, les défenseurs de l’environnement et du patrimoine social et culturel local.

Vestige d’un projet d’agrandissement du port de Saint Leu (qui est un abri côtier et non un port), pour un coût de plus de 4 millions d’euros, ce bâtiment de 688 m², un bloc béton de 2 étages sur 60 m de long, accueillera principalement des locaux commerciaux, des locaux dédiés à la restauration et des locaux qui ne correspondent pas aux besoins des usagers de la mer (activités nautiques et pêche). Ces derniers ont maintes fois alerté sur l’inutilité de ce bâtiment tel qu’il est prévu et ont exprimé des besoins précis notamment de sécurisation du chenal qui n’ont pas été pris en compte. Une pétition en ligne a déjà réuni plus de 3200 signatures[1].

Sur les aspects environnementaux, ce bâtiment va entraîner l’abattage des cinq badamiers qui font face à la mer, emblèmes du port de Saint Leu, et de plusieurs filaos. Il va artificialiser une zone inondable au lieu de prendre en compte la fragilité de la zone côtière et la nécessité de protéger et de développer notre patrimoine végétal face aux défis de l’adaptation au changement climatique et à la perte de la biodiversité auxquels on doit faire face dès à présent. Il ne prend nullement en compte le puits de chaleur que représente ce bâtiment en béton qui va rayonner et couper le flux d’air marin à une époque où les villes doivent s’adapter à des pics de chaleur qui deviennent plus fréquents. De plus, ce bâtiment serait construit en face de l’école primaire du centre, ce qui fera augmenter la température ressentie dans les salles de classe. Au final, le projet va consacrer environ 1 million d’euros pour des mesures réductrices et compensatoires très discutables des dégâts causés par ce même projet.

Sur les aspects sociaux et culturels, “la maison de la mer” va privatiser et artificialiser une zone qui est chère aux Saint-Leusiens et aux réunionnais qui viennent y pique-niquer et se retrouver à l’ombre des arbres.

Malgré les réclamations et les alertes, les défenseurs politiques de ce projet sont fermes: “vous ne pouvez rien faire, le bâtiment va se faire”. Ce projet n’est pas en phase avec les réalités environnementales et les besoins réels de la population. Alors pourquoi ce projet est-il mené coûte que coûte par nos élus sans réelle écoute ni concertation avec les usagers, les associations et la population ?

La mer n’a pas besoin de maison mais nous avons besoin des arbres !

Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur le changement climatique souligne l’urgence de prendre des mesures pour protéger notre planète et nos écosystèmes. Les îles tropicales sont identifiées comme particulièrement vulnérables: érosion du trait de côte avec la montée du niveau des océans, sécheresse, pics de chaleur plus fréquents, phénomènes extrêmes plus intenses. A l’heure de prendre des mesures pour s’adapter, pour planter des arbres afin d’augmenter notre stockage carbone, de stabiliser et d’enrichir nos sols, de protéger la biodiversité, et de lutter contre la chaleur dans les villes… nous décidons de les couper pour les remplacer par un bâtiment en béton qui rayonne de la chaleur et coupe la circulation d’air. Ce projet ne tient en aucun cas, compte de nos problématiques environnementales actuelles et à venir.

La mer n’a pas besoin de maison mais nous avons besoin d’espaces de vie sociale et culturelle !

L’espace de vie du front de mer pourrait voir sa fréquentation changer. Il représente aujourd’hui un lieu de convivialité et de partage. C’est un lieu privilégié pour les familles et les amis afin de se retrouver, de partager un repas et de profiter ensemble de la nature environnante. C’est un moment de transmission culturelle, où les traditions culinaires et les histoires familiales se transmettent de génération en génération. Il n’est pas rare de voir des familles jouer du Maloya sur le front de mer le dimanche. En réduisant et privatisant cet espace naturel gratuit, la maison de la mer pourrait ainsi contribuer à la dilution de cette tradition, en laissant la place à une vision commerciale du développement de l’île. La maison de la mer intégrera des espaces de restaurations. Au vu des loyers potentiels, ces restaurants ne seront pas accessibles pour tout le monde. Nous sommes dans une configuration qui peut accélérer la gentrification de la zone. Dans un contexte d’urbanisation galopante, les espaces publics naturels et gratuits tendent à disparaître au profit d’espaces commerciaux dédiés à une population plus aisée.

À contre sens des défis d’aujourd’hui et de demain, ce projet est l’exemple typique du déni d’une partie de la classe politique face aux injustices sociales et environnementales. Comment expliquer à nos enfants que nous devons préserver les espaces naturels des villes et assister à l’abattage des arbres majestueux qu’ils voient en sortant de l’école? Comment expliquer aux personnes vulnérables, en situation de grande précarité, en attente de place en crèche pour pouvoir prétendre à un emploi ou à celles et ceux qui vivent dans des logements trop vétustes, que des millions d’argent public seront dépensés pour quelques-uns?

Il est donc temps pour les dirigeants du TCO, de Saint-Leu, et pour l’ensemble des décideurs de la Réunion, de réaffirmer leurs engagements et de mettre en place des projets respectueux de l’environnement et de la population en tenant compte de l’évolution de notre climat et de notre réalité sociale et culturelle.

Nous sommes dans un monde en plein bouleversement, laissons derrière nous les clivages et les pratiques d’un autre siècle et travaillons pour l’intérêt commun des générations futures.

Nous vous donnons rendez-vous le dimanche 23 avril à 10h devant le port de Saint Leu pour une journée de manifestation conviviale et festive (kabar, pique nique, plantation…) et déterminés contre ce projet inutile et destructeur.

Le Collectif Nout port Nout Saint-Leu, Greenpeace Réunion, Citoyens pour le climat Réunion, Association Nautique de Saint-Leu, Union Saint-Leusienne, Extinction Rébellion Réunion, Génération Ecologie, Place Publique Réunion, Association Ti Yab lé O, Association Saint-Leusienne pour la préservation du patrimoine historique et environnemental.

ANSL

Association Nautique de Saint-Leu


[1] https://www.change.org/p/projet-du-nouveau-batiment-port-de-st-leu-974

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