Vie chère Outre-mer : l’urgence d’en finir avec la consumation et la profitation
Les mobilisations des syndicats mais aussi des collectifs citoyens contre la vie chère et les monopoles dans les Outre-mer, sous des formes parfois violentes en Martinique récemment ou à l’époque du LKP en Guadeloupe ou du COSPAR à la Réunion en 2009, relancent le débat de la consumation et de la profitation. Comme l’a souligné l’écrivain Patrick Chamoiseau dans une tribune publiée par Le Monde, « le système-outremer génère une invivabilité qui, malgré des convulsions fréquentes, ne cesse de perdurer ».
Une double pression à l’origine d’un processus de destruction existentielle
L’urgence écologique et l’impératif de souveraineté dans les territoires d’Outre-mer ne peuvent plus être ignorés. Ces territoires, particulièrement vulnérables, subissent une double pression : d’une part, celle du chaos climatique et des pertes de biodiversité planétaires, qui fragilisent leurs écosystèmes ; d’autre part, une dépendance économique asphyxiante qui les enferme dans un système de domination post-colonial. En tant que porte-parole d’un mouvement écologique, il est impératif de reconnaître la gravité de cette situation et d’engager une transformation en profondeur pour libérer les territoires ultramarins de ces mécanismes destructeurs.
La consumation est l’une des conséquences les plus pernicieuses de ce modèle économique. Ce terme désigne bien plus qu’une simple surconsommation matérielle : il représente une destruction existentielle. Dans les territoires d’outre-mer, la consumation se manifeste par une dépendance extrême aux importations – plus de 80 % des biens consommés y sont importés – créant une véritable asphyxie économique. Cette dépendance fragilise non seulement la souveraineté des territoires, mais elle amplifie les impacts environnementaux, en détruisant les écosystèmes locaux et en augmentant l’empreinte carbone de ces régions.
Ce modèle de profitation, où une minorité tire profit de la fragilité économique et écologique de ces territoires, est le véritable fléau. Il perpétue une logique coloniale obsolète, où les populations locales sont réduites à de simples consommateurs, dépendants de monopoles qui contrôlent les importations et captent les richesses. Cette dynamique n’est rien de moins qu’une forme moderne d’asservissement économique. La précarité des populations s’aggrave, tandis que les grandes entreprises continuent d’empoisonner les sols avec des pesticides interdits ailleurs, détruisant les ressources naturelles pour des profits à court terme.
Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, ancienne ministre et coordinatrice nationale de Génération Écologie avait dénoncé le scandale de la profitation à l’Assemblée nationale qui, en Outre-mer, aboutit à mettre les populations sous le joug des monopoles.
L’échec des réponses politiques traditionnelles
Face à cette situation alarmante, les réponses politiques traditionnelles, même à gauche, échouent à proposer une véritable alternative. Les programmes basés sur le consumérisme, qui promettent de rendre la vie meilleure en augmentant le pouvoir d’achat et en alignant les prix avec ceux de l’Hexagone, ne remettent jamais en cause la logique de croissance infinie. Ils se contentent d’étendre les fruits de cette croissance aux plus démunis, sans comprendre que cette consommation elle-même est le moteur de la destruction écologique et sociale.
La vérité est que cette quête d’une consommation toujours plus grande, même au nom de la justice sociale, est une impasse. Les territoires d’outre-mer sont pris au piège d’une dépendance structurelle vis-à-vis de la métropole, aggravée par un modèle extractiviste qui épuise les ressources locales sans jamais répondre aux véritables besoins des populations. Ce modèle, fondé sur une exploitation sans fin, n’est pas seulement insoutenable écologiquement, il est aussi socialement injuste.
Changer de paradigme pour inventer un nouveau modèle
Il est donc urgent de rompre avec ce modèle de croissance destructeur, fondé sur la consumation et la profitation. Les territoires d’outre-mer possèdent un potentiel extraordinaire. Grâce à leur biodiversité unique, la vitalité de leurs écosystèmes, leur culture, ils pourraient devenir des laboratoires de la transformation écologique et sociale. Des projets agroécologiques adaptés aux spécificités locales pourraient y voir le jour, permettant de créer des filières courtes et de garantir une autosuffisance alimentaire durable. De même, le développement des énergies renouvelables pourrait les affranchir de leur dépendance énergétique, tout en renforçant leur résilience face aux chocs économiques et environnementaux.
Mais pour que ces projets deviennent réalité, il est crucial de redonner aux territoires ultramarins la maîtrise de leurs ressources, qu’elles soient alimentaires, énergétiques ou naturelles. Cette souveraineté est la clé d’un modèle de développement durable, capable de répondre aux besoins des populations locales tout en préservant les écosystèmes. Sans cette transition, les tensions sociales et écologiques continueront de s’aggraver, piégeant les habitants dans un cercle vicieux de précarité et de dépendance.
L’urgence climatique impose un changement radical de paradigme, et les territoires d’outre-mer doivent être au cœur de cette refonte politique et économique. Ils ne peuvent plus être considérés comme des périphéries, dépendantes de décisions prises ailleurs. Leur avenir ne peut se construire que dans la recherche d’autonomie, d’une réelle souveraineté et d’une gestion respectueuse de leurs ressources.
Pour ce faire, nous devons nous éloigner de la logique consumériste promue par les programmes politiques traditionnels et adopter une vision basée sur la durabilité. L’impératif écologique, loin d’être un fardeau, est une opportunité historique pour construire des sociétés plus justes, plus autonomes et en harmonie avec la nature. Les territoires d’outre-mer, avec leurs écosystèmes riches et leurs ressources, peuvent devenir des modèles de résilience écologique. Des exemples concrets de la façon dont nous pouvons bâtir un avenir post-capitaliste, respectueux de la planète et de ses habitants.
Les populations d’outre-mer ne peuvent plus être réduites au rôle de simples consommateurs dans une économie mondialisée qui les exploite. Nous devons redonner aux habitants de ces territoires la possibilité de décider de leur propre avenir, de gérer leurs ressources, et de vivre en harmonie avec leur environnement. Il est essentiel de bâtir des économies locales, basées sur la production agricole durable, l’autosuffisance alimentaire, et les énergies renouvelables. Ce modèle est non seulement plus juste socialement, mais il est aussi indispensable pour répondre aux défis climatiques du XXIe siècle.
Le modèle actuel, fondé sur la domination et l’extractivisme, est obsolète. Il est temps d’abandonner cette logique coloniale et de redonner aux territoires ultramarins la maîtrise de leur destin. Cette transition écologique est la clé pour bâtir un avenir durable et équitable, capable de répondre aux besoins des populations locales tout en préservant les écosystèmes.
L’avenir des territoires d’outre-mer doit être celui d’une souveraineté écologique et économique retrouvée, où les choix politiques et économiques se font au service des habitants et de la planète, et non des intérêts court-termistes d’un modèle révolu. C’est ainsi que nous pourrons créer des sociétés résilientes, autonomes et en phase avec les grands enjeux écologiques et sociaux de notre époque.
Vincent DEFAUD, responsable Outre-mer du conseil national de Génération Écologie, référent départemental de Génération Écologie La Réunion