Réunion

La revanche des Indo-musulmans, des Chinois et des Malabars sur les primo-colonisateurs français et leurs descendants réunionnais

En 1663 Louis Payen met les pieds à La Réunion avant de repartir. En 1665, c’est au tour d’Étienne Regnault de venir s’y installer avec vingt autres colons français.

À partir de ce moment, La Réunion – que l’on nomme alors l’île Bourbon – va se développer non sans le recours à une main-d’œuvre servile venue de Madagascar et d’Afrique.

Les Blancs dominent alors le paysage avec des concessions de terres immenses, allant du battant des lames jusqu’au sommet des montagnes. Le pouvoir est sans partage.

L’abolition de l’esclavage et ses conséquences

En 1848, l’abolition de l’esclavage bouleverse cet ordre établi. Les propriétaires blancs, privés de leurs esclaves, se voient contraints de faire venir des travailleurs de Chine et d’Inde, qu’ils pensent dociles et bon marché.

Parallèlement, au fur et à mesure que se développe La Réunion, les familles de propriétaires terriens se multiplient. Les terres deviennent de plus en plus rares, concentrées entre les mains des grands colons. Ce phénomène entraîne une paupérisation de la communauté blanche, que l’on appellera plus tard les petits Blancs.

Déchéance et dérive sociale

Au drame de cette déchéance s’ajoute le fléau de l’alcool, qui gangrène les familles et alimente les violences domestiques.
L’absence de structures éducatives ne fait qu’aggraver la situation : l’analphabétisme enferme cette population dans une ignorance fière et crasse, engendrant une faiblesse supplémentaire face aux réalités nouvelles.

L’émergence des communautés venues d’Asie

Pendant ce temps, les Chinois, refusant d’être traités comme des esclaves et fuyant l’engagisme, s’installent aux carrefours stratégiques pour y développer le commerce. Les hindous (Malbars) bien que soumis à l’engagisme qui tente de leur faire renier leurs us et coutumes, maintiennent discrètement leur culture plurimillénaire. Quant aux Indo-musulmans (Zarab) venus volontairement du Gujarat au milieu du XIXᵉ siècle, ils s’adonnent eux aussi au commerce.

Métissage et déclin des anciens maîtres

Au fil du temps, l’écart se creuse entre les primo-colonisateurs français et leurs descendants.
Outre la paupérisation économique, sociale et intellectuelle, ces derniers ont souvent procréé avec ceux-là mêmes que leurs ancêtres avaient asservis, donnant naissance à une population métisse que l’on nomme communément les Créoles bien qu’à l’origine le créole est celui qui est né hors de la métropole.

Si certaines familles blanches ont su se maintenir au sommet de l’échelle, la majorité a perdu de sa superbe.
En à peine trois siècles, la domination a changé de camp.

Les nouveaux maîtres de l’économie réunionnaise

Autrefois, les Blancs dominaient l’économie locale. Aujourd’hui, ce sont les communautés chinoises, indo-musulmanes et malbares qui occupent le haut du pavé.

Les Chinois détiennent la majorité des grandes surfaces alimentaires. Les Indo-musulmans contrôlent une grande part du marché du tissu — mais pas seulement.

Discrètes et travailleuses, ces deux communautés ont su préserver leur culture tout en fonctionnant en cercle fermé. Elles possèdent également des parts dans l’automobile, l’immobilier, le carburant et, pour les Chinois, dans l’industrie agroalimentaire qui approvisionne la quasi-totalité des surfaces de vente de l’île.

Les Malabars, de leur côté, s’inscrivent peu à peu dans cette même dynamique. Certains, anciens travailleurs agricoles, ont réussi à racheter les terres des grands colons. D’autres se sont lancés dans le commerce de carburant, le bâtiment, les quincailleries, l’alimentaire et le monde des affaires.

Une ascension fulgurante mais fermée

Pour chacune de ces communautés, l’ascension sociale est fulgurante. L’interculturalité, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’y est pas de mise. L’éducation des descendants se fait dans la stricte tradition des ancêtres.

Si, à leur arrivée, certains avaient pris pour partenaires des Blancs ou des métis, le retour aux sources s’impose désormais. Les enfants, instruits dans les écoles de la République, reçoivent une éducation orientée vers l’efficacité et la réussite. Beaucoup deviennent médecins, juristes ou chefs d’entreprise.

Ces communautés ont fait de l’instruction, de la discrétion et de l’entre-soi leurs atouts stratégiques.
Pendant ce temps, une partie des Créoles s’éloigne de ces valeurs, préférant les loisirs, la facilité, les réseaux sociaux ou les conduites addictives, jusqu’à développer parfois une haine de l’autre, notamment envers les Zoreils ou les Mahorais, sans remise en question.

Une revanche silencieuse

En à peine deux siècles – de 1848 à 2025 – les communautés chinoise, indo-musulmane et hindoue ont réussi à dominer l’économie réunionnaise, au grand dam des descendants des premiers colons français.

Ce constat n’efface pas les réussites individuelles parmi ces derniers, mais il met en lumière la perspicacité, le travail et le pragmatisme des communautés venues d’Asie dans leur conquête du territoire.

Quand certains descendants des primo-colonisateurs français qui oublient d’où ils viennent, rêvent d’indépendance, ces ethnies, elles, pensent qu’à commerce, réussite et élévation sociale, tout en restant attachés à la France.

Car, rationnelle et pragmatiques, ces ethnies parfaitement initiées à la réalité du terrain, savent pertinemment que si l’Hexagone devait un jour se retirer — ce qui n’est pas pour demain, la France étant légitimement propriétaire de ce territoire sur lequel elle a beaucoup investi depuis plus de trois siècles — La Réunion risquerait d’y perdre bien plus qu’un simple lien administratif.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *